Un gâteau qui cache une surprise
Clara Vasseur est journaliste. Elle vit à Hambourg mais en fait elle navigue1 entre la France et l'Allemagne. Aujourd'hui elle nous présente une coutume française.
-Est ce que vous connaissez l'histoire de cette étudiante allemande qui arrive à paris début janvier et qui prise2 d'une petite faim subite3 entre dans la première boulangerie venue4. Il n'y a pas vraiment le choix : partout les mêmes gâteaux ronds avec l'étiquette « galette des rois ». Là elle se dit « c'est incroyable cette tendance aristocratique des Français » et elle s'offre une petite galette à l'odeur alléchante5. Elle mord dedans avec enthousiasme : catastrophe ! Elle tombe sur quelque chose de dur et se casse une dent. Aïe ou plutôt « aua » comme on dit en Allemagne.
En France on appelle la fête des rois « l'épiphanie », un mot d'origine grecque « epiphaneia » qui signifie « apparition ». C'est en effet en janvier que l'Enfant Jésus est révélé aux Rois mages : Gaspard, Melchior et Balthazar. Et pour fêter dignement6 cet événement, on prépare la fameuse7 galette des rois : un excellent gâteau à base de pâte feuilletée8 et de frangipane9. Dedans on cache une fève10. Enfin, à l'origine, c'était une fève. Aujourd'hui, c'est une petite figurine en porcelaine. Les Français raffolent11 de ces fèves et même certains les collectionnent. Celui sur qui tombe la fève12 devient roi ou reine pour la journée. On lui met sur la tête une superbe couronne en carton doré et à chaque fois qu'il porte son verre aux lèvres13, les autres crient avec enthousiasme : le Roi boit ! Le Roi boit !
Une tradition très répandue
Les historiens peuvent bien se disputer sur l'origine de cette coutume païenne14 qui remonterait à l'époque romaine ou au Moyen Âge, peu importe. En France, la galette des rois, c'est sacré ! à la maison, chez grand-mère, au bureau, et oui ! surtout au bureau, toute la France s'empiffre15, toute la France tire les rois avec passion et souvent avec du champagne. Et chaque année, on raconte à nouveau pour la millième fois aux collègues de bureau comment ça se passe en famille. Car il y a différentes manières de faire. Parfois c'est le plus jeune qui doit se cacher sous la table pour répondre à l'aveugle à la question : hou doudou, pour qui est ce morceau là ? C'est pour papa c'est pour tante Bernadette et cetera. Peu importe, l'important c'est que l'on tire les rois et qu'on en parle.
Il y a encore vingt ans, on tirait les rois uniquement le 6 janvier. Mais aujourd'hui on mange de la galette de façon quasi ininterrompue du 2 au 15 janvier. Les boulangers sont malins : ils ont compris que les Français, ces anciens révolutionnaires, ont tous envie de devenir le roi ou la reine d'un jour. Et pour que chacun ait droit à son tour, ils vendent leurs galettes pendant deux semaines. Encore une chose : veiller à ce que cette fête qui est déjà devenue païenne ne se transforme pas de surcroît16 en un étouffe-chrétien17. C'est comme ça qu'on appelle en français un plat ou un gâteau très lourd qui pèse tellement sur l'estomac qu'il risque d'étouffer toute personne normalement constituée. Donc, achetez de préférence votre galette chez un très bon boulanger.
Vocabulaire:
1 Naviguer : terme de marine, réservé aux bateaux ou à leurs pilotes. Ici, cela signifie faire la navette entre la France et l'Allemagne.
2 Prise d'une petite faim : éprouvant une petite faim. Être pris d'un sentiment, d'une émotion : ressentir soudainement un sentiment, une émotion. Ex : à la lecture des résultats de l'examen, il a été pris d'une joie indicible !
3 Subite = soudaine
4 La première boulangerie venue : la première boulangerie qui se trouve sur son chemin, par hasard. On peut ajouter « venu » à toutes sortes d'expressions pour donner une impression de hasard : on a mangé dans le premier restaurant venu ;
5 Alléchante: qui donne envie de la manger. On peut aussi parler d'une proposition alléchante, d'une offre alléchante ce qui signifie « attirante », « qui suscite l'envie.
6 Fêter dignement : deux mots qui se plaisent bien ensemble, souvent dans un contexte légèrement ironique. Cela signifie : fêter quelque chose avec un peu d'ostentation.
7 Fameuse : célèbre.
8 La pâte feuilletée : en pâtisserie, on utilise trois sortes de pâtes : la pâte brisée, la pâte feuilletée et la pâte sablée.
9 La frangipane : une crème ou une pâte à base de poudre d'amande et d’œufs.
10 Une fève : une graine que l'on consomme aussi en légume.
11 Raffoler de quelque chose: aimer beaucoup quelque chose. Le chocolat ? Il en raffole !
12 Celui sur qui tombe la fève : celui qui par hasard a la fève. Tomber sur, dans un sens imagé, signifie « trouver par hasard, de façon inattendue », « rencontrer par hasard ».Ex : En allant à la boulangerie, je suis tombée sur mon patron (j'ai rencontré par hasard mon patron). En rangeant le grenier, je suis tombé sur ce livre (en rangeant le grenier, j'ai trouvé ce livre).
13 Porter son verre aux lèvres: image qui signifie « boire ». Porter a un sens matériel : porter un sac, porter une charge. Et plusieurs sens métaphoriques: porter le regard sur quelque chose, porter un jugement. Ici, porter le verre aux lèvres évoque le mouvement.
14 Païen, païenne : non chrétien, non chrétienne.
15 S'empiffrer : manger beaucoup, avec « gloutonnerie ». Terme assez négatif.
16 De surcroît = de plus, registre soutenu.
17 L'étouffe-chrétien : un plat trop lourd !