Le Petit Chaperon rouge: allemand ou français ?
Ma fille de 6 ans parle allemand et français, tout comme moi. Comme elle adore les contes de fées, à la maison nous avons des livres de contes dans les deux langues. Un jour, nous avons remarqué que la version allemande et la version française du petit chaperon rouge différaient : par exemple, dans le livre français, le Petit Chaperon rouge apporte un petit pot de beurre et une galette à sa grand-mère; dans le livre allemand, c'est un morceau de gâteau et du vin.
“Des détails” me direz-vous. Peut-être. Mais je voulais en avoir le cœur net et là, j'ai découvert une chose qui m'a déroutée et va certainement dérouter un bon nombre de mes compatriotes.
Mon Rotkäpchen à moi, le Petit Chaperon rouge de mon enfance on me l'a lu, dans le grand livre des contes allemands rassemblés par les frères Grimm. “Kinder und Hausmärchen”, “Contes de l’enfance et du foyer”. Un livre paru en 1812. Et pourtant figurez-vous que ce petit chaperon rouge allemand vient en réalité de France.
Attendez, ce n'est pas fini. Dornröschen, Blaubart, de gestiefelte Kater, Aschenputtel, der kleine Däumling, tous français! La belle au bois dormant, Barbe Bleue, le Chat Botté, Cendrillon, le Petit Poucet, on les retrouve dans un recueil de contes populaires paru en 1697, donc quelques 115 ans plus tôt. “Histoires ou contes du temps passé avec des moralités” publiés par le célèbre Charles Perrault, homme de lettres et membre de l'Académie française.
Les Contes de Perrault ont été transmis un siècle plus tard aux frères Grimm
Les frères Grimm vécurent à Kassel, dans la région de la Hesse au début du 19e siècle. Ils ont été les premiers à constituer en Allemagne une collection quasi scientifique de contes populaires, en transcrivant des contes qu'on leur rapportait oralement. On sait aujourd'hui que les deux frères ne sont jamais allés par monts et par vaux comme le veut la légende, pour interroger des paysans dans leurs chaumières. C'est chez eux, dans leur salon, qu'il se les faisaient raconter. Ainsi ont-ils probablement entendu les contes de Perrault de la bouche d'une certaine Madame Viehmann, une bourgeoise de Kassel, et des trois jeunes soeurs Hassenpflug. Or, ces personnes étaient huguenotes et donc d'origine française.
Les frères Grimm, qui aimaient se présenter comme des collectionneurs de vieilles traditions allemandes, des chasseurs de patrimoine populaire et anonyme n’ont donc pas été très regardants sur l'origine de leur contes , issus parfois d'autres recueils. Ils auraient été au courant que certains de leurs contes venaient du livre de Perrault mais ils ne l’ont jamais avoué.
Des histoires plus morales et moins cruelles
Par contre, ils ont apporté moultes modifications à ces contes pour les adapter à leur époque et les rendre plus éducatifs.
Reprenons notre Petit Chaperon rouge. Dans la version de Perrault, la mère ne prévient pas du danger qui guette dans la forêt. Chez les Grimm, la mère ordonne au Petit Chaperon Rouge de bien rester sur le chemin. Chez Perrault, le loup demande au chaperon rouge de s'allonger nu dans son lit, passage beaucoup trop impudique pour les frères Grimm. Chez Perrault, le loup mange le petit chaperon rouge et le conte est fini. Une fin beaucoup trop cruelle pour les Grimm chez lesquels, non seulement la petite fille et sa grand-mère sont sauvées par le chasseur mais dans laquelle, de surcroît, le petit chaperon rouge emplit le ventre du loup avec des pierres, ce qui tue la bête alourdie (dernier mot inaudible)
Quand on regarde les livres de contes édités aujourd'hui en France et en Allemagne, on constate que les différentes versions et réécritures se sont influencées mutuellement et que les deux versions se sont beaucoup rapprochées. Et une chose est sûre: quasiment toutes les versions françaises ont repris la fin des frères Grimm : que le loup s'en sorte ou pas, le Petit Chaperon rouge finit toujours par ressusciter. Personnellement je préfère et ma fille aussi.